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Homélies catholiques de la Martinique

les homélies d'un prêtre catholique en paroisse, ayant prêché de nombreuses retraites en foyer de charité

Un père, deux fils - Homélie 4° dimanche du Carême C

4 careme C - ev
    Le Carême est un temps de conversion. Dès le premier jour nous avons entendu cette injonction pressante: "Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle".

    D'une manière ou d'une autre, nous sommes tous appelés à la conversion, les justes comme les pécheurs. Les pécheurs sont invités à la table du Père. Les justes sont invités à la table des pécheurs. C'est la même table, celle de la joie. "Il y a deux races de saints dans le ciel", écrivait Charles Péguy:

Deux sortes de saints.
(Heureusement qu'ils font bon ménage ensemble.) (...)
Tout le monde est pécheur. Mais enfin il y a deux grandes races, il y a deux recrutements.
Il y a un double recrutement des saints qui sont dans le ciel.
Il y a ceux qui viennent, il y a ceux qui sortent des justes.
Et il y a ceux qui sortent des pécheurs. (...)
Il y a deux extractions (et tous pourtant, également ils sont des saints dans le ciel. Sur le même pied) (Des saints de Dieu)
Il y a deux extractions, ceux qui viennent des justes et ceux qui viennent des pécheurs.
Ceux qui n'ont jamais inspiré d'inquitéudes sérieuses
Et ceux qui ont inspiré une inquiétude
Mortelle.
Ceux qui n'ont pas fait jouer l'espérance et ceux qui ont fait jouer l'espérance.
Ceux dont on n'a jamais rien craint, rien redouté de sérieux, et ceux dont on a failli désespérer, Dieu nous en garde.
Quel grand combat.
Ceux dont on n'a jamais rien entendu dire.
Et ceux dont on a entendu dire
La parole
Mortelle.



    "Un homme avait deux fils". On dit: "tel père, tel fils". Le père et le fils se ressemblent toujours, mais les fils ne se ressemblent pas nécessairement entre eux. Chaque fils ressemble à son père a sa manière, et les manières peuvent beaucoup varier. Mais il y a deux grandes manières pour les hommes de ressembler à "Notre Père" du ciel, deux grandes manières de devenir des saints: celle de la sainteté "repentante", et celle de la sainteté "accueillante".

    C'est pour cela "qu'ils font bon ménage ensemble". C'est pour cela aussi que

c'est une entreprise difficile.
C'est une entreprise impossible à l'homme.
Que de savoir quels sont les plus grands saints.
Ils sont tellement grands les uns et les autres.

    Peut-être sommes-nous un peu des deux. Sans doute. Mais il y a des traits dominants. Il est bon de savoir de qui nous tenons le plus: du fils aîné, ou du fils prodigue. Sainte Thérèse de Lisieux le savait. Elle se range résolument du côté du fils aîné. Et elle l'écrit à plusieurs reprises:

Mais après tout elle (Thérèse) n'est pas l'enfant prodigue, ce n'est donc pas la peine que Jésus lui fasse un festin "puisqu'elle est toujours avec Lui". (LT 142.)

J'agissais avec Lui comme un enfant qui se croit tout permis et regarde les trésors de son Père comme les siens. (A 66v.)

Depuis longtemps vous m'avez permis d'être audacieuse avec vous. Comme le père de l'enfant prodigue parlant à son fils aîné, vous m'avez dit: "Tout ce qui est à moi est à toi." Vos paroles, ô Jésus, sont donc à moi. (C 34v.)

    Il y a deux sortes de saints. Il y a deux fils. Mais il n'y a pas deux pères:

Et nous, le peuple de Dieu, n'avons-nous pas tous un seul Père ? N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? Pourquoi nous trahir les uns les autres, profanant ainsi l'Alliance de nos pères ? (Ml 2, 10)

Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. (Mt 23, 9)

    Il y a deux sortes de saints, comme il y a deux sortes d'hommes. Parmi les hommes il y a les riches, et il y a les pauvres. Selon la sagesse de Dieu, les riches sont pour les pauvres; les pauvres sont pour les riches. Les pauvres sont pour les riches le moyen pour passer par le trou de l'aiguille, pour aller au ciel. Les riches sont pour les pauvres l'occasion de ne pas se révolter, de ne jamais désespérer, d'exercer la patience. La lutte des classes (comme, d'ailleurs, la lutte des sexes) est une invention du démon. Tous nous sommes invités à la même table. Les riches qui n'aiment pas les pauvres, tout riches qu'ils sont, resteront dehors. Les pauvres qui n'aiment pas le riches aussi.

    C'est la même chose pour la sainteté. Il y a ceux qui sont riches en vertus, d'autres qui sont démunis. Pourtant, "ceux qui sortent des justes" et "ceux qui sortent des pécheurs" "font bon ménage ensemble". Car ils ont compris qu'ils sont faits les uns pour les autres. Entre eux aucune jalousie, seulement de l'harmonie. Les vertueux ne sont pas jaloux de l'accueil que le Père réserve aux pécheurs qui reviennent vers lui, même si ce n'est pas avec une "contrition parfaite", comme on dit. Tous se savent pécheurs: les uns pécheurs pardonnés, les autres pécheurs préservés. Ceux qui sont le plus redevables de la miséricorde de Dieu ne sont pas ceux qu'on croit. La Vierge Marie l'est plus que Marie Madeleine, Thérèse plus que le bon larron ou Pranzini.

    L'Immaculée Conception de la Vierge Marie (et sa maternité virginale) ne l'éloignent pas de nous. La sainteté de Jésus encore moins. Marie est invoquée comme "refuge de pécheurs".

Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. (Mc 2, 17)

    Leur proximité avec les pécheurs ne consiste pas en ce qu'ils se décident à commettre les mêmes péchés, tout comme la proximité du médecin ne consiste pas à contracter les maladies de leurs patients, mais à se consacrer tout entiers au retour à la santé de ceux qui sont malades.

    Est-ce à dire que tout le monde ira au ciel, et que l'enfer n'existe pas? Gardons-nous d'imaginer que tout est gagné d'avance! Gardons-nous de confondre confiance et optimisme béat! L'endurcissement est un danger qui nous guette tous: l'endurcissement des justes qui ne veulent pas ouvrir leur coeur au frère prodigue, ou bien l'endurcissement des pécheurs qui ne veulent pas ouvrir leur coeur à la bonté du Père. L'obstacle commun aux uns et aux autres, c'est le scandale de la miséricorde.

"C'est la confiance, disait Thérèse de Lisieux, et rien que la confiance, qui doit nous mener à l'Amour..."

    Ce qui est difficile, ce n'est pas la confiance, c'est RIEN QUE la confiance. Ceux qui ont tout quitté pour suivre Jésus, par exemple, ou ceux qui n'ont jamais commis de péché mortel, risquent de s'appuyer sur leur prouesse pour s'installer dans une sécurité trompeuse. C'est ce qu'on faisait facilement dans les siècles où l'on croyait au petit nombre des élus. Aujourd'hui la tendance est plutôt de croire au petit nombre des damnés et au grand nombre des élus. Mais si notre espérance s'appuie sur là-dessus, nous remplaçons alors la vivacité de l'éspérance par la somnolence d'un optimisme béat. Si presque tous sont sauvés, si l'on en fait une certitude, on se dit: Il y a peu de chances que j'aille en enfer... Ce n'est pas de la confiance, c'est du calcul! Le calcul ne mène pas à l'amour. Il en éloigne.

Il est donc essentiel de fonder notre confiance sur l'absence meme de toute garantie au sujet du nombre des élus ou des réprouvés. Dieu ne nous rassurera pas du tout à ce sujet, il faut prendre au sérieux les menaces des prophètes et des saints - en espérant et en suppliant afin que le grand nombre soit sauvé ("Que deviendront les pécheurs?", clamait S. Dominique des nuits entières). (M. D. Molinié)
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