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Homélies catholiques de la Martinique

les homélies d'un prêtre catholique en paroisse, ayant prêché de nombreuses retraites en foyer de charité

Homélie 2° dimanche de l'Avent A : Espérer dans un monde en panne d'espérance (Mt 3, 1-12)

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Lectures du 2° dimanche de l'Avent A

Spe salvi facti sumus : dans l'espérance nous avons été sauvés, dit saint Paul aux Romains et à nous aussi (Rm 8, 24).
    C'est par ces mots, qu'il emprunte à la lettre aux Romains, que Benoît XVI commence sa dernière encyclique. De cette même lettre aux Romains, nous venons d'entendre dans la liturgie de ce jour un autre passage, qui se trouve au chapitre 15 :

Frères, tout ce que les livres saints ont dit avant nous est écrit pour nous instruire, afin que nous possédions l’espérance grâce à la persévérance et au courage que donne l’Écriture.

    Selon saint Paul, l'Écriture est donc la source de l'espérance, grâce à la persévérance et au courage qu'elle nous donne. J'attire votre attention là-dessus, car en ce moment se prépare encore un évènement majeur dans la vie de l'Église, à savoir le prochain Synode des évêques.

    De quoi s'agit-il ? C'est à la suite du concile Vatican II que le Pape Paul VI a commencé à réunir périodiquement (à peu près tous les quatre ans) des évêques représentant toutes les régions du monde pour échanger sur l'un ou l'autre sujet d'intérêt pour l'Église universelle.
Le Synode des évêques a pour fonction de conseiller le Saint-Père sur le maintien et le progrès de la foi, comme sur l'action de l'Église dans le monde. Ainsi les évêques ont-ils pu échanger par exemple sur la famille, le ministère ordonné, la vie consacrée, l'éducation chrétienne et de nombreux autres sujets. À l'approche de l'an 2000, le Pape Jean-Paul II a accéléré la cadence, convoquant également des Synodes continentaux.

    Cette importante réunion des évêques avec le Saint-Père se tient habituellement à Rome et dure environ un mois. Chaque conférence épiscopale nationale est invitée à y déléguer des évêques pour la représenter. À cette délégation de base s'ajoutent éventuellement des présidents de conférences nationales, des cardinaux, ainsi qu'un certain nombre de personnes nommées spécifiquement par le Saint-Père. En tout, cela fait environ 300 évêques du monde entier. Un groupe d'observateurs et observatrices, de même qu'un certain nombre d'experts, sont ajoutés selon les besoins.

    Quel est le thème retenu pour le prochain Synode, et quand celui-ci aura-t-il lieu ? La tenue d'un Synode ne s'improvise pas. Déjà dans chaque pays, les délégués au Synode et leurs substituts (qui les remplaceront en cas d'empêchement, maladie...) ont commencé, depuis le mois d'avril, à réfléchir et à approfondir le thème proposé par de nombreux évêques et retenu par le Pape Benoît XVI pour 2008 : "La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Église". Ils le font à partir d'un état de la question (en latin lineamenta) préparé par le Conseil du Secrétariat général pour le Synode. Suite à cette première réflexion le même Conseil élaborera un second document (en latin instrumentum laboris) qui deviendra l'ordre du jour de l'Assemblée Générale Ordinaire du Synode des évêques. Elle sera célébrée, si Dieu le veut, du 5 au 26 octobre 2008.

    Préparons
ce Synode, nous aussi, et dès maintenant, par notre prière, d'abord, mais aussi par la fréquentation assidue de la Parole de Dieu, notamment dans l'Écriture, qui, nous dit saint Paul, est source d'espérance dans un monde en panne d'espérance. Dans son encyclique, notre Saint-Père fait allusion à une épitaphe du temps des premiers chrétiens :
"In nihil ab nihilo quam cito recidimus" (Du néant dans le néant, combien rapidement nous retombons) (n° 2)
    De nos jours, on peut penser, non pas à des épitaphes, mais à ces T-shirts, portés par des jeunes, sur lesquels se trouvent ces mots : "No Future" (Sans avenir). Quelqu'un qui n'a plus d'espérance, est déjà mort, bien avant que son coeur ne cesse de battre. C'est quelqu'un qui est peut-être en pleine forme physique, avec une bonne situation dans le monde, mais sans avenir, parce que pour lui, la vie n'a pas de sens. C'est en pensant à tous ces jeunes aussi, quelquefois même des enfants, mais aussi des adultes, que Benoît XVI a écrit son encyclique. Ils meurent de soif à côté de la source. Ils vont chercher à boire dans la spirtualité orientale, dans le New Age, ou dans la drogue et les plaisirs faciles et immédiats, mais éphémères et sans lendemain :

Ce qui a été déterminant pour la conscience des premiers chrétiens, à savoir le fait d'avoir reçu comme don une espérance crédible, se manifeste aussi là où est mise en regard l'existence chrétienne avec la vie avant la foi, ou avec la situation des membres des autres religions. (n° 2)

    Vous voyez l'actualité de la Parole de Dieu ? Ce n'est pas vrai qu'elle nous parle moins qu'aux premiers chrétiens. Elle nous parle davantage ! Nous vivons aujourd'hui dans un monde plus athée (sans Dieu) qu'il y a deux mille ans. Nous ne pouvons pas vivre notre petite foi dans un vase clos. Nous vivons au coeur du monde, d'un monde de plus en plus athée dont le coeur est malade, parce que sans espérance. Celui qui n'a pas la foi est sans espérance. Celui qui "perd" la foi, comme on dit, "perd" l'espérance du même coup.

    Dans un pays comme la France (fille aînée de l'Église !), les statistiques en matière de suicide en disent long ! Chaque année en France, 160.000 personnes tentent de mettre fin à leurs jours. 12.000 y parviennent.  Le suicide est plus meurtrier que les accidents de la route ! Pour connaître la réaction des Français face au suicide, l'Union Nationale pour la Prévention du Suicide avait réalisé un sondage avec la Sofres en 2000. On y apprend que 35 % des Français ont vécu la mort par suicide d'un proche. Pour 18 % il s'agissait d'un membre de leur famille et pour 5 % d'un parent proche (père, mère, frère, soeur ou enfant). Cela les a bien sûr fortement marqués.

    Vous voyez l'importance de l'espérance ? Vous comprenez que l'Encyclique de Benoît XVI, il ne faut pas la mettre aux oubliettes ? C'est un remède très précieux pour une maladie extrêment grave, puisqu'elle peut entraîner la mort ! Mais, me direz-vous, nous n'en avons pas besoin, parce que nous, nous ne sommes pas des athées.

Paul rappelle aux Éphésiens que, avant leur rencontre avec le Christ, ils étaient "sans espérance et sans Dieu dans le monde" (cf. Ép 2, 12). Naturellement, il sait qu'ils avaient eu des dieux, qu'ils avaient eu une religion, mais leurs dieux s'étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n'émanait aucune espérance. Malgré les dieux, ils étaient "sans Dieu" et, par conséquent, ils se trouvaient dans un monde obscur, devant un avenir sombre.

    Oui, mais ..., me direz-vous encore, nous, nous sommes chrétiens, catholiques pratiquants. Nous, c'est dans le vrai dieu que nous croyons ! Mais que dire de tous ces chrétiens, ces hommes et ces femmes qui ont reçu le baptême un jour, mais qui vivent pratiquement comme des athées, ou qui vivent leur foi d'une manière purement routinière, comme si c'était une évidence, une affaire réglée une fois pour toutes dès lors qu'ils ont été baptisés, confirmés et éventuellement mariés à l'église ? Savons-nous encore ce que croire, ce qu'espérer veut dire ?

Pour nous qui vivons depuis toujours avec le concept chrétien de Dieu et qui nous y sommes habitués, la possession de l'espérance, qui provient de la rencontre réelle avec ce Dieu, n'est presque plus perceptible.

    L'espérance provient d'une "rencontre réelle avec Dieu". Ce n'est pas un illuminé qui le dit, c'est le Pape. Et c'est à ce point de son plaidoyer qu'il appelle au secours une sainte "de notre temps", qui vous parlera d'autant plus qu'elle a vécu une situation semblable à beaucoup de vos ancêtres venus d'Afrique, semblable à ce que vivent encore plus de 27 millions d'êtres humains au moment où je vous parle : la situation de l'esclavage. Je vous cite ce passage intégralement :

L'exemple d'une sainte de notre temps peut en quelque manière nous aider à comprendre ce que signifie rencontrer ce Dieu, pour la première fois et réellement. Je pense à l'Africaine Joséphine Bakhita, canonisée par le Pape Jean-Paul II. Elle était née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. À l'âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d'esclaves, battue jusqu'au sang et vendue cinq fois sur des marchés soudanais. En dernier lieu, comme esclave, elle se retrouva au service de la mère et de la femme d'un général, et elle fut chaque jour battue jusqu'au sang ; il en résulta qu'elle en garda pour toute sa vie 144 cicatrices. Enfin, en 1882, elle fut vendue à un marchand italien pour le consul italien Callisto Legnani qui, face à l'avancée des mahdistes, revint en Italie. Là, après avoir été jusqu'à ce moment la propriété de "maîtres" aussi terribles, Bakhita connut un "Maître" totalement différent – dans le dialecte vénitien, qu'elle avait alors appris, elle appelait "Paron" le Dieu vivant, le Dieu de Jésus Christ.
Jusqu'alors, elle n'avait connu que des maîtres qui la méprisaient et qui la maltraitaient, ou qui, dans le meilleur des cas, la considéraient comme une esclave utile. Cependant, à présent, elle entendait dire qu'il existait un "Paron" au-dessus de tous les maîtres, le Seigneur des seigneurs, et que ce Seigneur était bon, la bonté en personne. Elle apprit que ce Seigneur la connaissait, elle aussi, qu'il l'avait créée, elle aussi – plus encore qu'il l'aimait. Elle aussi était aimée, et précisément par le "Paron" suprême, face auquel tous les autres maîtres ne sont, eux-mêmes, que de misérables serviteurs. Elle était connue et aimée, et elle était attendue. Plus encore, ce Maître avait lui-même personnellement dû affronter le destin d'être battu et maintenant il l'attendait "à la droite de Dieu le Père". Désormais, elle avait une "espérance" – non seulement la petite espérance de trouver des maîtres moins cruels, mais la grande espérance : je suis définitivement aimée et quel que soit ce qui m'arrive, je suis attendue par cet Amour. Et ainsi ma vie est bonne. Par la connaissance de cette espérance, elle était "rachetée", elle ne se sentait plus une esclave, mais une fille de Dieu libre. Elle comprenait ce que Paul entendait lorsqu'il rappelait aux Éphésiens qu'avant ils étaient sans espérance et sans Dieu dans le monde – sans espérance parce que sans Dieu. Aussi, lorsqu'on voulut la renvoyer au Soudan, Bakhita refusa-t-elle ; elle n'était pas disposée à être de nouveau séparée de son "Paron". Le 9 janvier 1890, elle fut baptisée et confirmée, et elle fit sa première communion des mains du Patriarche de Venise. Le 8 décembre 1896, à Vérone, elle prononça ses vœux dans la Congrégation des Sœurs canossiennes et, dès lors – en plus de ses travaux à la sacristie et à la porterie du couvent –, elle chercha surtout dans ses différents voyages en Italie à appeler à la mission : la libération qu'elle avait obtenue à travers la rencontre avec le Dieu de Jésus Christ, elle se sentait le devoir de l'étendre, elle devait la donner aussi aux autres, au plus grand nombre de personnes possible. L'espérance, qui était née pour elle et qui l'avait "rachetée", elle ne pouvait pas la garder pour elle ; cette espérance devait rejoindre beaucoup de personnes, elle devait rejoindre tout le monde. (n° 3)

    C'est en confrontant notre espérance à celle des saints, et non pas au plus petit dénominateur
commun de notre entourage, que nous nous apercevons combien nous sommes encore loin du compte. Souvent notre espérance n'est qu'un petit vernis, une vertu de façade. Notre espérance ressemble à une fleur fanée ou à un fruit desséché, alors que Charles Péguy la décrit comme une petite fille qui ne tient pas en place et qui, dans son élan, entraîne ses soeurs plus âgées vers les grands espaces.

    Qu'est-ce que l'espérance évoque pour la majorité des chrétiens ? Que veut dire ce mot dans leur bouche quand, en réponse à la question "Y a-t-il un paradis", ils disent : "Je l'espère" ? Cela veut dire : "mais je n'en suis pas du tout certain ; personne n'est jamais revenu de l'autre côté pour nous le dire..."

    Souvent d'ailleurs, l'idée que se font les gens de ce qu'il est convenu d'appeler le paradis est dépourvu de tout fondement scripturaire. "On ira tous au Paradis", c'est la bonne nouvelle selon Michel Polnaref et reprise en choeur par de nombreux prêtres et même certains évêques. Ce n'est pas mon intention ici de donner mon avis sur la qualité musicale de ce chanteur, mais en tant que théologien, le moins que l'on puisse dire est qu'il ne fait pas le poids. Ne comptez pas sur moi pour rejoindre sa chorale. Dire que tout le monde va au Paradis, c'est tout de même une curieuse façon d'espérer. Pour moi, espérer n'est pas en contradiction avec ce que dit Jean Baptiste dans l'Évangile de ce dimanche en parlant de Jésus :

Il tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint pas.

    Il n'y a donc pas que le bon grain. Il y a aussi la paille. La deuxième partie de l'affirmation n'est pas là uniquement pour la forme. Il faut en tenir compte.

    Pour moi, l'espérance que je récuse est celle des pharisiens et des sadducéens qui venaient en grand nombre vers Jean pour se faire baptiser, mais sans reconnaître leurs péchés, contrairement aux foules, et dont Jean dit sans ménagement aucun :

Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion, et n'allez pas dire en vous-mêmes : "Nous avons Abraham pour père" ; car, je vous le dis : avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.

    Cela nous rappelle en même temps que l'espérance ne concerne pas exclusivement l'au-delà. Elle n'est nullement démobilisatrice ; elle ne constitue pas un alibi pour notre paresse, bien au contraire. Il s'agit bel et bien de produire "un fruit", et un fruit "qui exprime votre conversion". Rappelez-vous sainte Joséphine Bakhita.

    Mais inversément, saint Paul nous dit aussi :
Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. (1 Co 15, 19)
    Nous poursuivrons notre méditation de cette belle encyclique dimanche prochain, si Dieu veut.
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